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Le train, l’Europe et le service public

Jacques Fournier, Editions Odile Jacob

samedi 30 juin 2018, par rixke

Jacques Fournier, après avoir été président du Gaz de France et secrétaire général du gouvernement, est aujourd’hui président de la SNCF

L’ouvrage qu’il vient de signer traite des rapports qu’entretiennent ces trois sujets : le train, l’Europe et le service public. C’est dire si son contenu doit intéresser les cheminots que nous sommes. De prime abord, on s’étonnera peut-être de voir le PDG d’une grande entreprise nationale ouvrir ainsi ses dossiers alors qu’il est toujours en fonction, parler « à chaud » de « sa SNCF ».

Il estime, en agissant de la sorte, s’acquitter à sa manière de ce qu’il est convaincu être une véritable obligation, dans la mesure où tout ce qui concerne une entreprise à vocation nationale en continuelle évolution mérite d’être rendu public.

Il a aussi des positions à affirmer, des convictions à faire partager.

Voilà pour le mobile. Partisan convaincu du secteur public, l’auteur expose ses propositions en vue de lui assurer un avenir digne de l’attente des usagers.

Car si l’on place beaucoup d’espoir dans le secteur public, en même temps nombreux sont ceux qui doutent de sa capacité de dialogue et mettent en cause la qualité de ses prestations, il n’est qu’une issue pour sortir de cette contradiction : la modernisation et l’adaptation permanente à son temps. Cela implique, de la part de tous ceux qui concourent à son fonctionnement, un effort de renouvellement des concepts et des perspectives.

Le service public, contrairement à ce que l’on pense parfois, ne s’identifie pas au statu quo. Il faut avoir le courage de lutter contre le corporatisme, c’est-à-dire contre la tendance, après tout naturelle mais dangereuse, à confondre intérêt général, intérêts professionnels et préservation des situations acquises. Une telle option, pour être efficace, doit être collective. Il serait vain de prétendre renouveler l’esprit du service public sans l’adhésion de ceux qui l’assurent.

Mais la modernisation du service public exige aussi l’existence d’une volonté politique concrètement exprimée sur le modèle de développement. Cela suppose que l’on consacre aux actions correspondantes les moyens nécessaires et que l’on sache utiliser la gestion publique aussi bien que la gestion privée pour les mener à bien. Nous sommes là aux antipodes de la conception ultralibérale qui inspire les choix récemment faits, dans le domaine du transport ferroviaire, par le gouvernement britannique.

On en arrive ainsi, au thème européen, fondamental aux yeux de l’auteur, car l’Europe est désormais le cadre de tous les combats à mener. Il s’agit bien de combats !

L’Europe n’a pas choisi encore définitivement son modèle de développement. Deux logiques en elle s’entrecroisent : celle du marché et de la concurrence ; celle des politiques communes et de la coopération.

La première a prévalu jusqu’à présent. Depuis le traité de Rome, toute la construction européenne s’est ordonnée autour de la notion de marché. Il est temps de conforter la seconde. Car l’Europe, ce n’est pas seulement un marché, c’est aussi un ensemble organisé de 350 millions de personnes qui veulent construire leur avenir et affirmer leur place dans le monde.

J. Fournier souhaite ardemment qu’une fois passées les turbulences de la période actuelle, les exigences du service public s’imposent progressivement, à l’échelle européenne comme à l’échelle nationale, et conduisent à définir des règles d’harmonisation des prestations de service public fournies dans les différents pays de la Communauté. Mais l’Europe peut aussi être l’espace futur de tous les dangers.

Car si le « Grand Marché » a une signification réelle pour le capital, l’équivalent sur le plan des services publics n’aura qu’une très faible portée tant que ne sera pas mis en place un espace unifié de solidarité. C’est là où se situent les risques et les chances de cette ambition, insiste-t-il.

Voilà un livre lucide qui ouvre un débat capital pour l’avenir des chemins de fer.


Source : Le Rail, juin 1993