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Ceux que le train (a) fait rêver...

Christine Opdecam.

mercredi 5 mai 2021, par rixke

1961

II fut donc convenu que je choisirais un texte paru dans les années 60.

Mon choix fut vite opéré car déjà je trouvais à l’aube de celles-ci deux sujets qui arrêtèrent mon attention : l’un au titre évocateur, « Le Napoléon du tourisme ferroviaire » de R. Gillard ; l’autre n’étant qu’un méchant dessin du prototype d’un autorail amphibie dont la légende indiquait qu’il pourrait parcourir la distance Ostende-Douvres en 2h, réduisant ainsi le temps de parcours Bruxelles-Londres de 90 minutes !

Prototype d’un autorail amphibie

Me vint alors à l’esprit cette question : le train fait-il encore rêver de nos jours ?

Quel défi lui reste-t-il encore à relever puisque cette dernière chimère — relier les deux capitales en un temps record — est en passe de devenir réalité.

J’avoue aussi ne pas connaître de projets actuels aussi audacieux et qui frappent autant l’imagination que ceux dont ont rêvé tant de regrettés visionnaires.

Je songe par exemple à tous ces aventuriers qui ont élaboré des plans aussitôt enterrés pour traverser la Manche autrement qu’en bateau, mais aussi à ceux dont l’œuvre se poursuit encore de nos jours.

Il fut le père des agences de voyage, celui qu’on surnommait le Napoléon du tourisme ferroviaire, l’inventeur des billets spéciaux, j’ai nommé Thomas Cook dont R. Gillard nous raconte en avril 61 l’aventure. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Qui eût pu imaginer en ce début du XIXe siècle que ce missionnaire allait innover de pareille manière les voyages en chemin de fer alors qu’il passait son temps à vitupérer contre les buveurs invétérés de tous poils ?

C’est pourtant ainsi que tout commença.

À l’occasion de son premier périple en chemin de fer, il eut la géniale intuition des nouvelles possibilités de transport offertes par le rail pour la cause de la tempérance.

Il organisa ainsi le 5 juillet 1841, entre Leicester et Longborough, le premier voyage de groupe véritable auquel participèrent cinq cent septante pionniers.

Comme le résume si joliment R. Gillard : « Ainsi, d’une tintamarresque excursion de »tempérants« , par le plus invraisemblable des processus, Cook, maintenant, est appelé à organiser des voyages d’agrément. »

Non content de harceler les ivrognes, il se déchaîna encore contre le tabac « aussi pernicieux, prétend-il, que tous les moyens d’intoxication liquides ou fluides ».

À l’époque il était interdit de fumer dans les wagons de chemin de fer mais le personnel affecté au contrôle était plutôt tolérant, contrairement à notre homme qui ne se priva pas de distribuer moult amendes à ces fauteurs de troubles quand il ne les menaça pas des pires châtiments célestes.

Nonobstant cet aspect un peu fanatique de sa personne, il acquit la confiance des cheminots parce qu’il comprit très tôt la force sociale du rail. Cook créa ainsi les billets spéciaux destinés aux clients des voyages de groupe pour qui il instaura un tarif moindre. Plus tard il imagina des billets valables pour un mois et pouvant être utilisés dans n’importe quel train. Enfin, soucieux du bien-être de ses contemporains – n’oublions pas sa vocation de missionnaire – il organisa à l’intention des ouvriers des usines, qui ne bénéficiaient que de peu de jours de repos, des excursions nocturnes qu’il baptisa « voyages au clair de lune ».

Telle carrure ne pouvait inspirer que des sentiments aussi contradictoires que tranchés.

Mais « Toute innovation ne s’est-elle pas heurtée à l’incompréhension, à la malveillance, à la stupidité des esprits retardataires ? »

Cook mourut en 1892, laissant derrière lui une entreprise prospère aux mains de son fils John Mason, et s’il se rendit aux États-Unis en 1866, ce n’est que longtemps après sa mort – en 1920 - –que son aventure rejoignit celle d’un autre précurseur, George Mortimer Pullman.

Allégorie

Pour être exacte, précisons que l’agence « Cook and son » s’associa cette année-là avec la Compagnie internationale des wagons-lits de notre compatriote Georges Nagelmackers que le modèle américain avait inspiré.

Voilà encore une belle aventure ferroviaire qui prit naissance au siècle passé et dont nous gardons tous en mémoire le plus beau fleuron de sa couronne : l’Orient Express.

S’il est un train qui suscita autant de passion et d’enthousiasme, c’est bien celui-là. Mais rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de réécrire l’histoire de ce train fabuleux. Le Rail en a abondamment parlé et je vous renvoie aux éditions des années 70, années de nostalgie, semble-t-il, puisque pas moins de quatre numéros de la revue lui consacrèrent un article.

Faut-il rappeler que 1977 sonna le glas du train le plus magique de l’histoire des chemins de fer ?

Néanmoins, s’il a disparu des indicateurs officiels, ses vénérables wagons continuent de parcourir chaque année quelque 130 000 km pour le plaisir de passagers fortunés.

Des voitures furent récupérées un peu partout en Europe en 1981 et restaurées par l’atelier ostendais – bientôt centenaire – de la Compagnie où travaillent actuellement quelque 80 ouvriers polyvalents.

Ceux-ci ont terminé d’ailleurs en mars dernier la révision en profondeur de neuf des dix-huit voitures qui assurent la liaison Paris-Venise.

Luxe, calme et volupté

Ses bois nobles, ses cuivres rutilants, sa marquetterie et son épaisse moquette sont quelques-uns des aspects les plus remarquables de l’Orient Express, symbole d’un passé à jamais révolu.

Ce petit détour balnéaire nous ramène tout naturellement à ce prototype d’un autorail amphibie dont je vous parlais tantôt et qui n’était qu’un coquin poisson d’avril.

N’empêche, il me donna l’envie de provoquer un mien ami, Pierre Coulon, dont les talents artistiques et humoristiques ne sont plus à démontrer. Je lui soumis donc mon projet de consacrer au train un article relatif à son pouvoir onirique, voire surréaliste.

Sa réaction ne se fit pas attendre et c’est avec un réel enthousiasme qu’il se mit à la tâche. Et comme un bon dessin vaut mieux qu’un long discours, je le propose à votre rêverie.


Source : Le Rail, mai 1996