Accueil > Le Rail > Histoire > La ligne Bruxelles-Tervueren est électrifiée

La ligne Bruxelles-Tervueren est électrifiée

P. Vankeer

mercredi 10 novembre 2021, par rixke

Il y a 65 ans, une « première » en Belgique

Le 1er décembre 1931 le duc de Brabant (futur roi Léopold III) et la princesse Astrid inaugurèrent la ligne électrifiée longue de 14 km reliant Bruxelles - Quartier Léopold à Tervueren. Une ère nouvelle, l’électrification du réseau ferroviaire belge, commençait. Cette ligne allait constituer un véritable laboratoire d’essai pour l’exploitation électrique. Elle apportait aux communes bruxelloises d’Auderghem et de Woluwe-Saint-Pierre ainsi qu’aux communes suburbaines de Wezembeek-Oppem et Tervueren un service cadencé, fréquent, rapide et confortable. Vingt-sept ans plus tard cette magnifique réalisation était abandonnée définitivement.

 Un peu d’histoire

Dès 1837 un particulier sollicita la concession d’une ligne reliant Bruxelles à Louvain par « Vure » (nom de Tervueren en ce temps-là). D’autres demandes de concessions de lignes desservant Tervueren furent introduites de 1856 à 1872 mais aucun de ces projets ne fut réalisé. Le plus intéressant fut sans doute le projet « Pousset » (présenté de 1864 à 1872) qui prévoyait une ligne internationale desservant Auderghem, Tervueren, Weert-St-Georges, Tirlemont, Léau (Zoutleeuw) et Saint-Trond pour aboutir à Aix-la-Chapelle.

Finalement c’est l’État qui prit la décision de faire construire et d’exploiter lui-même une ligne ayant Tervueren comme terminus.

La construction fut entamée en 1877. La ligne se détachait à Etterbeek de l’axe Bruxelles-QL-Namur en obliquant à l’est vers Auderghem (qui était alors une commune champêtre) que le rail atteignit en 1881.

L’année suivante la ligne était terminée ; elle enjambait par un viaduc la magnifique avenue de Tervueren, conçue par Léopold II.

Cette ligne allait connaître son heure de gloire en 1897 à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles et de la présence du Musée du Congo (aujourd’hui Musée de l’Afrique centrale) à Tervueren. Pendant la durée de cette exposition, il n’y eut pas moins de 40 allers-retours journaliers sur la ligne, dont une trentaine de trains « directs ». Une nouvelle gare monumentale de style Scandinave fut érigée à Tervueren juste en face de l’entrée du musée et du parc. Par la suite l’exploitation fut ramenée à des proportions plus modestes. Il faut dire que la ligne subissait la concurrence du tramway électrique reliant fréquemment le Treurenberg (près du parc de Bruxelles) à Tervueren.

En juillet 1914, le service comportait encore 14 allers-retours quotidiens et la clientèle était constituée en semaine de « navetteurs » et le dimanche de citadins avides de respirer l’air pur.

Par contre en 1930 -31, peu avant l’électrification, on ne dénombrait plus que 5 allers-retours par jour en semaine... et plus aucun le dimanche.

Le trajet de 14 km avec sept arrêts (Etterbeek, Auderghem, Woluwe-Avenue, Woluwe, Kapelleveld, Wezembeek-Stockel, Oppem) s’effectuait en 28 minutes.

 Un projet de RER avant la lettre ?

Et voilà que cette petite ligne assoupie va connaître une refonte complète, une modernisation intégrale, un nouveau départ.

C’est que le « capital privé » aiguillonné par des intérêts immobiliers dans la banlieue en pleine expansion, s’y intéresse fortement.

En 1926 la Société générale des chemins de fer économiques demandait la concession d’une ligne de « métropolitain » réalisant une liaison souterraine entre le centre de Bruxelles et la gare du Quartier Léopold prolongée par la ligne de Tervueren.

Le projet de section souterraine ne connut pas de suite mais l’électrification de la ligne existante fut entreprise peu après. En exécution de la loi du 27 mai 1929, l’État belge, la SNCB et la Société générale des chemins de fer économiques (à laquelle se substitua le groupe « Électrobel ») signèrent une « convention » le 15 juin 1929. Aux termes de celle-ci fut fondée le 20 décembre 1930 la « Société du chemin de fer électrique de Bruxelles a Tervueren » que nous appellerons pour plus de facilité « la Compagnie » dans la suite de ce texte.

Cette Compagnie était une filiale d’Électrobel, cette société ayant aussi une filiale « immobilière » qui possédait de nombreux terrains à bâtir situés le long de la ligne, terrains qui allaient bénéficier d’une importante plus-value à la suite de la mise en service de trains électriques fréquents et rapides.

 La nouvelle infrastructure

L’électrification fut réalisée en 1 500 volts continu (système qui avait fait ses preuves en France), avec une sous-station à côté de la halte de Woluwe-Avenue.

Des arrêts nouveaux furent créés à Watermael [1] et à Auderghem (chaussée de Wavre) tandis que la station de Wezembeek-Stockel était remplacée par deux arrêts : Stockel et Wezembeek. La ligne qui était à simple voie avec quelques croisements fut mise à double voie de Watermael à Stockel. Les quais furent systématiquement surélevés à un mètre environ au-dessus du niveau des rails, de façon à être de plain-pied avec les plates-formes des voitures pour faciliter et accélérer le débarquement et l’embarquement des voyageurs.

À Bruxelles-QL, la Compagnie disposa de deux voies en cul-de-sac avec quai central et elle obtint une voie spécialement affectée jusqu’à Etterbeek parallèlement aux voies de la ligne 161. A la sortie d’Etterbeek, on construisit un tunnel descendant sous les voies « Bruxelles-Namur » pour remonter en surface vers Watermael, ce qui évitait de cisailler les voies de la SNCB.

 Le nouveau matériel roulant

Il fut commandé aux Ateliers métallurgiques de Nivelles qui livrèrent cinq rames doubles entièrement métalliques comportant motrice plus remorque avec cabine de conduite pour réversibilité, diminuant ainsi le temps de stationnement aux terminus. Deux des remorques-pilotes comportaient un compartiment fourgon.

Aux heures d’affluence, deux rames pouvaient être couplées pour former un train de quatre voitures tandis qu’en période creuse les motrices circulaient isolément.

Les motrices comportaient 48 places (réparties en 1re et 2e classes) et les remorques 52 uniquement en 2e classe. À noter que les motrices et les remorques-pilotes sans fourgon offraient un petit « coin » de 4 places situées à côté de la cabine de conduite.

Ces places « à l’avant » avec vue sur la voie étaient très recherchées par les jeunes, particulièrement pour la descente dans le tunnel à la sortie d’Etterbeek suivie de la remontée au grand jour à Watermael, un moment fort du voyage.

La Compagnie acheta encore quelques remorques anciennes provenant du métro de Paris. Construites en bois, vraisemblablement avant 1914, elles étaient d’une allure plutôt minable à côté du matériel belge et n’avaient pas de poste de conduite, ce qui obligeait à une longue manœuvre pour replacer « en tête » la motrice à chaque terminus.

Ces remorques furent plus tard utilisées comme élément intermédiaire entre motrice et remorque-pilote pour former des rames de 3 voitures.

À l’origine tout le matériel était peint en bleu (moitié inférieure) et jaune (moitié supérieure). Vers 1940 il fut repeint intégralement en bleu mais retrouva ses couleurs bleue et jaune en 1950-51.

Signalons encore que la Compagnie fit construire par les AMN une locomotive électrique de type BB pour la traction des wagons de marchandises.

 L’exploitation

Aux derniers temps de l’exploitation « vapeur » le trajet de 14 km avec 7 arrêts intermédiaires s’effectuait en 28 minutes soit une vitesse de 30 km/h. Après l’électrification, avec 10 arrêts, le temps de parcours tomba à 23 minutes, soit 35 km/h.

Le service offert était cadencé sur la base d’un départ toutes les 30 minutes, la fréquence étant réduite à un train par heure aux moments les plus creux. Malgré les difficultés inhérentes à l’existence d’une voie unique à chaque extrémité de la ligne, la fréquence fut par la suite portée à un départ toutes les 20 minutes aux heures d’affluence (matin et fin d’après-midi en semaine, ainsi que les dimanches après-midi).

Beaucoup d’employés et de fonctionnaires travaillant aux environs de la gare du Quartier-Léopold (rue de la Loi, rue Belliard, Square de Meeus, Place du Trône) habitaient le long de la ligne et désiraient rentrer déjeuner chez eux (les « restaurants d’entreprise » n’étaient pas nombreux à l’époque). La Compagnie organisa ainsi deux départs du Quartier Léopold à 12 h 15 et 12 h 20, le premier de ces trains fut même « direct » pendant quelques années jusqu’à Woluwe-Avenue, le second étant « omnibus » sur tout le parcours.

Un système symétrique fonctionna en sens inverse entre 13 h 30 et 14 h pour le retour vers les bureaux.

Il y eut aussi les dimanches après-midi des « spéciaux » pour les courses à l’hippodrome de Sterrebeek (desservi par l’arrêt d’Oppem) ainsi que pour les rencontres de football au stade du Racing-White (desservi par Woluwe). L’offre nouvelle recueillit un grand succès d’autant plus que les tarifs avaient été réduits de 30 à 50% par rapport aux anciens prix de 2e et 3e classes de l’époque « vapeur ».

Avant l’électrification le nombre de voyageurs transportés sur la ligne était estimé à 100 000 par an. En 1932 (1re année d’exploitation électrique) ce nombre atteignit près d’un million.

Les guichets avaient été supprimés et un receveur par voiture distribuait les billets comme dans les tramways de l’époque. La circulation en voie double se faisait aussi à droite comme pour les tramways. À noter que, bien que gérée par une société privée, la ligne Bruxelles-Tervueren continua à figurer dans l’indicateur de la SNCB où elle portait le numéro 160 attribué depuis 1920.

 Apogée et déclin

C’est pendant les années noires de l’occupation que le trafic voyageurs atteignit son maximum. Les autos étaient rarissimes et le train électrique n’en avait que plus d’utilité pour les « navetteurs ». La Compagnie accomplit de gros efforts pour conserver dans toute la mesure du possible une fréquence de 30 minutes et même de 20 minutes aux heures de pointe. Le nombre total de voyageurs fut de 2 233 000 en 1942 et de 3 310 000 en 1944.

La fin des hostilités allait malheureusement inverser la tendance. En 1946 le nombre de voyageurs se chiffrait encore à 3 029 000 mais il n’était plus que de 2 140 000 en 1956. La motorisation individuelle était en plein essor et les Bruxellois avaient d’autres buts de voyages que Tervueren, leur excursion favorite pendant les années de guerre.

 Chronique d’une mort annoncée

La concession avait été accordée pour un terme de 50 ans, donc jusque fin 1981. Mais la convention prévoyait que la SNCB pouvait en opérer le rachat à la fin de la 20e, de la 27e, de la 34e et de la 41e année. Le trafic diminuait, les coûts augmentaient, les tarifs ne pouvaient être majorés trop fortement sous peine de réduire encore le nombre de voyageurs.

Déjà en 1949, la Compagnie sollicita en vain le « rachat ». En juillet 1958 elle faisait part de ses difficultés financières de plus en plus inquiétantes, ajoutant qu’elle serait en état de cessation de paiement dans les quelques mois à venir.

Les pouvoirs publics donnèrent leur accord pour que la Compagnie cesse son exploitation le 1er janvier 1959. La SNCB n’était pas désireuse de reprendre la ligne dans son réseau « voyageurs ». La Société des transports intercommunaux bruxellois (STIB) créerait une nouvelle ligne d’autobus 30 (gare centrale - Oppem) vers les quartiers non desservis par les tramways.

Le dernier train quitta Bruxelles-QL le 31 décembre 1958 à 21 h 50 pour arriver à Tervueren vers 22 h 15. Peu après, l’ensemble du matériel roulant quitta la remise de Tervueren pour gagner l’atelier central de Luttre où il fut démoli quelques années plus tard.

Certains pensent que la locomotive électrique BB échappa au désastre et termina sa carrière dans un charbonnage. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

La seconde voie, les caténaires et les poteaux furent déposés, le tunnel d’Etterbeek à Watermael fut comblé et la SNCB récupéra pour son usage la voie utilisée par la défunte Compagnie entre Etterbeek et le Quartier Léopold.

La gare monumentale de Tervueren fut démolie.

Le personnel fut repris en grande partie par la STIB ; quelques agents trouvèrent un emploi à la SNCB.

Le trafic marchandises généré par une briqueterie à Woluwe et quelques marchands de charbon le long de la ligne fut poursuivi par la SNCB au moyen d’un « caboteur » en traction diesel. Cette desserte cessa vers 1970 et deux ans plus tard le célèbre viaduc au-dessus de l’avenue de Tervueren disparut du paysage bruxellois.

 Quelques vestiges et beaucoup de regrets

Aujourd’hui il ne reste de la ligne 160 qu’une promenade pédestre installée sur l’assiette de la voie à Auderghem ainsi qu’un site propre entre Kapelleveld et Wezembeek utilisé par le prolongement du tram 39 de Stockel à Ban Eik.

La décision de supprimer la ligne électrique 160 fut déplorable : elle contribuait à renforcer la circulation automobile dans l’est de Bruxelles qui étouffait sous les encombrements.

Maintenue, modernisée, intégrée dans le réseau de la SNCB et connectée avec le métro bruxellois, la ligne Bruxelles-Tervueren aurait pu rendre encore bien des services et devenir un des maillons de ce RER dont on parle tellement aujourd’hui.

Ouvrages consultés

  • Lagasse de Locht : La ligne Bruxelles-Tervueren, Bulletin de l’Exposition universelle de Bruxelles n° 44, 7 septembre 1935.
  • Ulysse Lamalle : Histoire des chemins de fer belges, Bruxelles 1942.
  • Une décision regrettable : La Ligne Bruxelles-Tervueren est supprimée, Rail et Traction n° 57, novembre-décembre 1958.
  • Le chemin de fer Bruxelles-Tervueren, Fonds du Patrimoine communal de Woluwe-St-Pierre, 1980.

Nous remercions Monsieur José Miren, secrétaire de l’asbl Musée privé de documentation ferroviaire, pour les renseignements qu’il nous a communiqués.


Source : Le rail, novembre 1996


[1Arrêt situé près de l’avenue Charles Michiels, à ne pas confondre avec la gare de Watermael SNCB située à 1 km environ.