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Au beau pays de Lesse et Meuse

R. G.

mardi 23 novembre 2021, par rixke

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L’Ywoigne au moment où elle se jette dans la Lesse à Houyet (aquarelle de A. Van den Eynde).

A quelques kilomètres de Dinant, là où la Lesse déploie ses plus sauvages atours, s’étend un carré de terrain presque inconnu de la grande foule. Les ethnologues, gens sérieux, vous apprendront que c’est en cette région, dans les spacieuses grottes de Chaleux et de Furfooz, qu’habitèrent probablement des contemporains de l’homme de Cro-Magnon. Les historiens vous diront que Pline le Jeune affectionna ce lieu et que, charmé par tant de grâce, il l’appela « terre de tranquille douceur ». Les poètes vous assureront que Bavard parcourut ces forêts et que, traqué par Charlemagne, il galopa vers les hauteurs de Meuse où, d’un coup de sabot, il fendit le rocher, puis, d’un bond prodigieux, vola vers l’autre rive.

Terre de tranquille douceur ! Pour qui n’a pas désappris à aimer la nature, pour qui rêve d’un jour d’enchantement, ce coin délicieux de Famenne resserré entre roche et onde est assurément un endroit idéal de vacances. Et, ce qui constitue un autre mérite, il peut être atteint dans un temps relativement court de n’importe quelle région de Belgique. Régulièrement desservie par le fer, la contrée l’est aussi par des services d’autobus, de cars et de bateaux de plaisance.

Mais qui a parcouru en train le beau pays de Lesse et Meuse conservera de ces instants ferroviaires un des plus charmants souvenirs de sa vie. Ici, la poésie du rail rejoint la pureté de la pierre, la dure lumière de l’arbre. Le rail s’est incrusté à ce point dans le paysage qu’il en est devenu partie intégrante.

Poésie des petits trains de campagne ! Il faut avoir fait, dans un autorail gentiment désuet, le long de la folle rivière, la promenade de Dinant à Houyet. Les sièges ont un arrière-goût de fougères, et votre voisin, le bûcheron, sent bon le pin sylvestre. Si quelque vieux vous dévisage, ne vous méprenez point sur son regard futé ; il n’a d’autre souci, le rusé, que d’engager la conversation avec l’étranger que vous êtes. Que vous répondiez à son secret désir, et le compère se fera le guide le plus bavard et le plus consciencieux que vous ayez jamais rencontré.

L’autorail, doucement, fait son bruit de marteaux. Voici le château de Walzin, orgueilleux édifice juché au faîte d’un roc abrupt ; à proximité, une tour ruinée, haut perchée : le dernier vestige du mystérieux manoir de Caverenne. Puis voici les aiguilles de Chaleux, étranges pics de calcaire qu’on croirait plantés dans le sol de main d’homme. Ne vous y trompez pas toutefois : ce n’est pas là un travail de chrétien, mais bien l’œuvre du diable.

Vous débouchez d’un tunnel, vous vous engouffrez dans un autre. Vous voici maintenant à soixante mètres sous terre. Mutine, une odeur de bois mort court le long de vos bras. Inquiet, soudain, vous interrogez l’ombre. Mais déjà le jour reparaît, qui chasse gnomes et mitons. Un coup de soleil éclabousse vos craintes... Gendron-Celles, que tant d’enfants de cheminots ont appris à aimer : la folle aventure continue. Et l’autorail, comme une vieille horloge, fait toujours son bruit de marteaux.

Houyet-Ardenne, le mal nommé (nous en savons plus d’un que sa qualification d’ardennais horripile), n’est pas seulement une gare charmante, mais aussi l’un des plus pittoresques villages de Famenne. C’est, en outre, un centre d’excursion remarquable. Que de promenades, en effet, n’offre-t-il pas aux amoureux de la nature ! Voulez-vous, après Edmond Rahir, chantre d’Ardenne et de Famenne, refaire à pied, au gré de la rivière, le trajet de Houyet à Dinant ? Ce sentier qu’étrangle la coudraie prétend vous conduire à la Meuse. Ou voulez-vous, sur les traces de notre première reine, l’espiègle Marie-Louise, remonter la Lesse en barquette ? Mais peut-être aimerez-vous connaître Waulsort ? Ou ces rochers de Freyr, masses chaotiques et ravagées dominées par un point de vue de sauvage grandeur, « roche effrayante », disait Victor Hugo ? Voyez : la route vous appelle ; sur ses bords, la noisette mûrit. Et le ciel, par-dessus, semble une autre forêt.

Dinant, cela va de soi, aura droit à votre visite. Mais qui ne connaît Dinant, sa collégiale, sa citadelle, son télésiège, ses dinanderies et, bien sûr aussi, sa Roche-à-Bayard et ses « flamiches » ? Les Dinantais, fiers de leur grande ville, vous diront encore qu’ils possèdent un bassin de natation, un casino, un musée remarquable, des cavernes préhistoriques, deux auberges de jeunesse et quarante-quatre hôtels et restaurants. Oublieux de leurs démêlés avec les gens de Bouvignes, ils vous parleront de l’inquiétant château de. Crèvecœur et des trois belles qui se laissèrent tomber du haut des tours pour échapper aux assiégeants. Orgueilleux d’Anseremme, qu’ils considèrent d’ailleurs comme un gentil faubourg, ils vous inviteront à visiter l’aquarium de cette localité, qui est, paraît-il, l’un des plus curieux d’Europe.

Ainsi s’achèvera ce jour d’enchantement. Mais avant de reprendre le train, avant de dire adieu à la féerie mosane, vous aurez, j’en suis sûr, une dernière pensée pour le pays de Lesse. Quant à moi, je sais que vous y reviendrez. Oui, si vous aimez les fruits de nos bois, les fruits qu’on croque à belles dents, les fruits sauvages de Famenne. Quand sera mûre la noisette.


Source : Le Rail, septembre 1961