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Les chemins de fer suisses fêtent leurs 150 ans

P. Vankeer.

vendredi 17 juin 2022, par rixke

Et pourtant, il y a déjà 153 ans qu’une ligne ferroviaire existe sur le territoire helvétique !

C’est en effet le 15 juin 1844 que la Compagnie du chemin de fer d’Alsace fit circuler le premier train qui, venant de Strasbourg, traversait la frontière franco-suisse près de Saint-Louis (Haut-Rhin) pour atteindre Bâle, réalisant ainsi sinon la première, du moins une des premières relations ferroviaires internationales [1].

Et c’est seulement le 9 août 1847 – il y a exactement un siècle et demi – que fut inauguré le premier chemin de fer intrinsèquement suisse reliant Zurich à Baden soit une distance de 23 km. Cette ligne fut surnommée « Spanisch Brötli Bahn » parce que la spécialité culinaire de Baden était le petit pain à la mode espagnole.

En peu d’années les principales villes de la Confédération helvétique furent desservies par le rail qui symbolisait alors le progrès technique.

 La ligne du Saint-Gothard : un ouvrage nécessaire

Dès 1860 la Suisse possédait une artère transversale allant d’une extrémité du pays à l’autre : de Genève par Lausanne, Neuchâtel, Bienne, Soleure, Olten (embranchement vers Bâle), Zurich et Winterthur jusqu’à Schaffhouse, Romanshorn, Saint-Gall et Rorschach. L’année suivante Lausanne était reliée par rail à Fribourg et Berne.

Le réseau ferroviaire était limité à ce moment à la partie la moins accidentée du pays mais il fallait quand même y construire de remarquables ouvrages d’art comme le tunnel de Hauenstein sur la ligne Bâle-Olten.

Le plus dur restait à réaliser : relier le nord de la Suisse au canton du Tessin et par là façonner le trait d’union international entre la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne d’une part et l’Italie d’autre part. Pour ce faire la Confédération helvétique, le Royaume d’Italie et l’Empire d’Allemagne signèrent en 1869-1871 une convention relative à la construction de la ligne du Saint-Gothard. Le percement du tunnel et l’achèvement de la ligne prirent 10 ans, de 1872 à 1882 bien que la dernière paroi eût été abattue le 29 février 1880.

Le lendemain un premier train spécial franchissait le tunnel amenant les invités de Göchenen à Airolo.

Cette réalisation fut une épopée grandiose mais tragique car si pendant ces quelque dix ans l’entreprise « tunnel » occupa en moyenne 2 480 ouvriers et fit usage de 1 200 tonnes de dynamite, elle coûta la vie à cent septante-sept travailleurs ! Leur souvenir dut assombrir la joie des invités qui inaugurèrent le 1er juin 1882 la ligne sur tout son parcours de Lucerne à Milan avec ses rampes et tunnels hélicoïdaux.

 Le trafic ferroviaire se développe

Après quelques années une seule traversée alpine sur le territoire helvétique ne suffit plus à absorber le trafic toujours croissant de voyageurs et de marchandises. La ligne de la vallée du Rhône partant de Lausanne atteignit Brigue en 1877, et la construction du tunnel italo-suisse du Simplon achevée en 1906 (d’une longueur de 20 km environ et exploité en traction électrique dès le début) ouvrit au trafic la voie de Domodossola.

Il fallait encore relier la capitale, Berne, au canton du Valais et à l’Italie sans faire le détour par Lausanne : la construction de la ligne BLS (Berne-Lötschberg – Simplon) mettant à profit le percement du tunnel du Lötschberg (entre Thoune et Brigue) permit une nouvelle relation transalpine à partir de 1913. Grande innovation : cette ligne fut électrifiée de Thoune à Brigue sous courant alternatif de 15 000 V, d’une fréquence de 16 2/3 Herz.

Si le XIXe siècle fut l’âge de la vapeur pour le réseau suisse, le XXe siècle fut très vite celui de la traction électrique. Le relief du réseau, les disponibilités en « houille blanche », l’obligation d’acheter le charbon à l’étranger, tous ces éléments furent favorables à l’électrification qui s’étendait à ± 95 % du réseau peu avant le deuxième conflit mondial et est pratiquement réalisée à 100 % aujourd’hui tant pour les chemins de fer fédéraux (CFF) que pour les compagnies privées.

 Chemins de fer prives ou non ?

En plus des problèmes techniques de construction et d’exploitation des lignes la question de l’appartenance s’était posée : réseau ferroviaire de l’État ou compagnies privées ? La seconde moitié du XIXe siècle vit l’essor des compagnies privées qui, dans certains cas, se firent une concurrence féroce. Ces luttes menèrent certaines de ces compagnies à de graves difficultés financières, voire à la faillite. Sur proposition du Conseil fédéral, une « votation » populaire approuva le « rachat » par la Confédération des plus grandes compagnies privées.

C’est à la suite de ce rachat que furent constitués en 1902 les Chemins de fer fédéraux (CFF). Ceux-ci cohabitèrent avec un certain nombre de lignes à voie normale restées aux mains de compagnies privées et cette situation existe encore de nos jours, une collaboration rationnelle existant entre le « fédéral » et le « privé » pour les problèmes d’exploitation et de tarifs.

Citons le groupe « Chemins de fer des Alpes bernoises » qui exploite notamment le BLS (dont nous avons parlé plus haut) et le Berne – Neuchâtel ; la Compagnie du Süd-Ost Bahn ; le Bodensee (Lac de Constance) – Toggenburg, sans parler des très nombreuses compagnies privées « à voie étroite » dont la plupart sont établies dans des régions montagneuses. La plus importante est sans doute la Compagnie des chemins de fer rhétiques (Rhätische Bahn) dont le réseau dessert le canton des Grisons.

Au terme de ces 150 ans, réseau fédéral et compagnies privées, lignes à voie normale et lignes à voie métrique s’unissent pour fournir au peuple suisse – et aux touristes qui visitent le pays – un service public de haute qualité apprécié et utilisé par de nombreux clients.

 Le 150e anniversaire : une raison de faire la fête

L’attachement du peuple suisse à « ses » chemins de fer est bien connu et se manifestera à travers toute la Confédération à l’occasion des festivités du 150e anniversaire.

Dans quelque 300 gares la population sera invitée à fêter cet événement dans une ambiance conviviale. Un train-exposition s’arrêtera dans 80 gares jusqu’à la fin du mois de novembre. Et comme « suisse » est synonyme de « propreté », le printemps 97 sera consacré à un nettoyage « à fond » des installations afin d’améliorer encore l’image de marque du rail.

En outre, le changement d’horaire au 1er juin 97 verra la mise en œuvre de plusieurs améliorations de l’offre voyageurs, ceci dans le cadre du plan « Rail 2000 » :

  • Une nouvelle génération de trains Intercity à deux niveaux sera mise en service entre St-Gall et Interlaken ;
  • La ligne Zurich – Berne bénéficiera d’une desserte à la demi-heure ;
  • Chaque jour trois relations Suisse – Italie par le St-Gothard et trois autres par le Lötschberg seront assurées par des rames « pendolino ».

Plusieurs manifestations d’importance nationale sont programmées :

  • 14 et 15 juin, Lausanne Rail Show : parade de 65 locomotives et trains. Ce sera la rencontre ferroviaire du siècle.
  • Du 21 juin au 20 juillet, Delémont (Jura) : quatre semaines d’événements avec trains à vapeur, promenades à cheval et à bicyclette.
  • Du 8 au 10 août, Zurich - Baden : fête officielle du « 150’ ». À la gare de triage de Limmattal les trains les plus modernes d’Europe seront présents. Des parcours seront effectués avec la rame historique à vapeur « Spanisch – Brôtli ».
  • Du 27 août au 26 octobre : Lucerne – Musée des Transports. Courses spéciales avec le « Spanisch – Brôtli » et des répliques de locomotives anciennes. Les visiteurs du Musée pourront revivre la construction du St-Gothard et s’informer sur la manière actuelle de réaliser des tunnels.
  • Du 30 août au 28 septembre : cinq week-ends « portes ouvertes » à Bellinzona, exposition de véhicules à Biasca et Mendrisio, chaîne de transport et logistique à Lugano. Une rame « historique » de l’époque 1930 assurera des parcours Bâle ou Zurich – Bellinzona ; on y retrouvera les célèbres « Crocodiles » CE6/8.

 « Le train bouge depuis 1847 »

Le calendrier 1947 (année du centenaire) des CFF se terminait par cette phrase : « Puissent les prochains cent ans être favorables au rail ! ».

Cinquante ans plus tard le bilan à « mi-parcours » est plus que réjouissant. Les chemins de fer suisses ont engrangé des succès remarquables (développement du ferroutage pour les marchandises, mise en œuvre de l’horaire cadencé en service voyageurs) et les projets de nouvelles percées transalpines (futur tunnel de base du St-Gothard, tunnel de la Vereina des chemins de fer rhétiques) ainsi que l’amélioration de l’offre tant voyageurs que marchandises dans le cadre du plan Rail 2000 permettent d’envisager un avenir prometteur.

« Le train bouge depuis 1847 », c’est la devise que les chemins de fer suisses ont adoptée pour cette année du « 150e ». Nous leur souhaitons grand succès. Et rendez-vous pour leur 2e centenaire en 2047 !


Source : Le Rail, juin 1997

Nous remercions Monsieur Bolomey, chef de l’agence des CFF à Bruxelles et son adjoint Monsieur Seiler pour la documentation qu’ils nous ont aimablement communiquée.


[1À noter que cette situation persiste aujourd’hui puisque la SNCF, héritière du Chemin de fer d’Alsace, « pousse » ses rails jusqu’à Bâle où elle dispose d’installations et de bâtiments jouissant de l’extraterritorialité.