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Hasselt, cœur du Limbourg

R. Gillard.

vendredi 26 mai 2023, par rixke

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Il y a, à Hasselt, une jolie église dédiée à saint Quentin, qui présente la plus étonnante diversité de styles. Les historiens, gens sérieux, vous apprendront que sa construction s’étage du XIe au XIXe siècle, ce qui explique un alliage de roman, de gothique, de Renaissance et de baroque qui ne manque, au demeurant, ni de charme ni de grâce. Les Hasseltois, de leur côté, vous assureront que son précieux trésor renferme une hostie miraculeuse qui se mit à saigner en 1317, lorsque des mains sacrilèges la touchèrent, et un très vénérable ostensoir – n’est-il pas le plus ancien du monde ? – ciselé en 1286. Quant aux voisins des Hasseltois – les voisins sont parfois méchants –, ils vous diront que cette église vécut un jour une aventure très drôle. Soucieux de la vérité historique, nous avons tenu à la vérifier dans Godefroid Kurth et autres maîtres incontestés. A notre légitime stupéfaction, nous n’en avons pas trouvé trace. Un regrettable oubli, à notre sens, qu’il nous faut céans réparer.

Le refuge de l’abbaye d’Herkenrode.

Lors, il se fit que, la veille d’une kermesse – cela se passait il y a fort longtemps –, les Hasseltois s’aperçurent que le clocher de l’église Saint-Quentin était couvert d’herbe. Non pas un pauvre lichen campinois, pas un misérable chiendent de talus, non ! De la bonne herbe verte et grasse, soyeuse, juteuse à souhait, un régal pour vache hasseltoise. Mais oui, la voilà l’idéale solution ! Seule une vache pourrait nettoyer proprement un clocher converti en prairie. Sitôt dit, sitôt fait. On alla quérir un robuste ruminant, on le fit bénir par M. le Curé, on lui passa un nœud coulant autour du cou et on le hissa au moyen d’une poulie vers l’insolite verdure. A mi-hauteur, point n’est besoin qu’on le souligne, le quadrupède était aux trois quarts étranglé ; aussi tirait-il une langue à fendre le cœur le plus endurci. Cinq mille Hasseltois assistaient au spectacle, encourageant la pauvre bête, ne comprenant rien, semble-t-il, au drame affreux qui se déroulait sous leurs yeux. « Elle se lèche déjà les babines ! », hurlaient-ils d’une seule voix. Cela se passait, nous l’avons dit, il y a de nombreuses années. Depuis ce temps-là, les Hasseltois ont été surnommés les Lécheurs de Babines.

Voilà pour la petite histoire. Quant à la grande histoire, elle nous conduit dans l’antique comté de Looz, un fief qui eut son heure de gloire. De cette terre, qui appartint aux seigneurs de Looz et Chiny avant de passer à Liège en 1327, Hasselt fut la cité la plus importante. Surgie il y a mille ans, dans un bois de coudriers des bords du Démer, elle obtint d’Arnoul IV, en 1232, les libertés dont jouissaient à l’époque les bourgeois de la principauté. Fortifiée en 1282, elle reçut le titre de ville en 1286. Charles le Téméraire, qui ne lui pardonnait pas ses sympathies liégeoises, la démantela en 1476, mais le prince-évêque Erard de la Marck la releva en 1681. Ce temps marqua l’apogée drapière de Hasselt, un temps où ses marchands, descendant le Démer en péniche, allaient vendre à Anvers les produits de leur artisanat et de leur industrie.

Cité paisible, quiète, reposante, enfermée dans une ceinture de larges boulevards ombragés, la vieille Hasselt apparaît aujourd’hui, au cœur quasi géométrique d’un Limbourg trépidant dont elle est le chef-lieu, comme une oasis bénie de vacances. Que de délicieuses flâneries ne réserve-t-elle pas, que d’agréables surprises ne prodigue-t-elle pas au touriste ! Le Béguinage, douce retraite de style mosan transformée en musée et en bibliothèque scientifique, dont les fenêtres à discrets vitraux s’ouvrent sur un parc de verdure, l’église Notre-Dame, qui abrite la statue miraculeuse de la Virga Jesse, le refuge de l’abbaye d’Herkenrode, devenu centre administratif, la maison des Comtes, la vieille maison De Wijzer, l’ancienne pharmacie à l’enseigne de l’Epée ; autant d’aimables souvenirs dont Hasselt aime à tirer vanité.

Mais n’y cherchez pas le Démer, vous avertira l’indigène. Ni le vieux ni le nouveau ! L’un fuit loin de la ville, pataugeant dans les étangs et la bourbe ; l’autre, subissant un sort misérable, a été enterré, emmuré, dégradé. Hasselt volée de ses vieilles eaux aurait tort, toutefois, de se plaindre. A-t-elle perdu un ruisseau ? Elle a hérité d’un canal.

Et non des moindres ! Achevé au seuil de la dernière guerre, le canal Albert est, en effet, la seule voie navigable qui ait été construite en Belgique au gabarit de 2.000 tonnes. Long de 130 kilomètres, ce superbe chemin fluvial rattache le port de Liège, depuis l’extrémité occidentale de l’île de Monsin, au bassin Lefebvre de la métropole anversoise. Sur ses bords, à quelque deux mille mètres de l’église Saint-Quentin, une nouvelle Hasselt est occupée à croître, active, fiévreuse, toute à l’image d’un Limbourg en pleine révolution économique et sociale.

Hasselt, du reste, jouit d’une position géographique particulièrement enviable. Ce vieux nid de pèlerinage, porte ouverte sur la Campine et la Hesbaye, que le XXe siècle a précipité aux marches d’un empire charbonnier aux prodigieuses réserves, est admirablement desservi par la route et le rail. Sa gare, nœud ferroviaire important, la relie directement à Bruxelles, à Anvers et à Liège. L’électrification, depuis 1960, l’a ramenée à moins d’une heure et demie de la capitale belge.

Limbourg au double visage ! Là où croissait hier le roseau, les immeubles et les cheminées d’usines attestent la présence des forces vives de l’âge nouveau. Mais la bruyère, aux pieds mêmes de la moderne Babel, a conservé ses droits. Viennent les beaux jours, et la terre réveillée se mue en une féerie de couleurs ! C’est le temps où les genêts s’enflamment, où les digitales entrouvrent leurs graciles calices. Les papillons de midi sèment des améthystes dans les joncs ; rapide, l’éclair fauve d’un renard fend les hautes herbes somnolentes. La brise sent le sable, le pin chaud et le trèfle sauvage. Rêverie, somnolence... A l’ombre des caténaires, des grues et des terrils, un parc sauvé du temps chante sa chanson millénaire.

Les Hasseltois, c’est notoire, sont les plus gais buveurs du monde. S’en étonnera-t-on dans une ville qui se veut l’une des capitales du genièvre ? Venez un jour à Hasselt, venez flâner dans ses rues tranquilles. Les cafés y sont sympathiques, avenante est la patronne, et, si vous aimez bavarder, payez donc un verre à un vieux Limbourgeois. Alors, vous entendrez d’extraordinaires histoires. Vous verrez surgir devant vous de petits hommes cornus, des sorcières chevauchant des balais, d’horribles loups-garous, des chevaux enchantés, des chariots infernaux, des diables habillés de sarrau. Vous verrez passer le géant Don Christophe ; vous saurez qui est la Virga Jesse, la bonne Vierge miraculeuse que la ville, en grande pompe, promène tous les sept ans. Alors, vous comprendrez mieux le Limbourg, terre d’enchantement et de combats, et vous aimerez sa capitale, la vieille et toujours jeune Hasselt.


Source : Le Rail, avril 1964