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Le plus grand projet ferroviaire du siècle

Hans Hanenbergh.

mercredi 14 mai 2014, par rixke

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 La magistrale Baïkal-Amour est fin prête

Un proverbe sibérien dit : « 1 000 km, ce n’est pas une distance ; 100 roubles, ce n’est pas une somme ; 99 ans, ce n’est pas un âge ; un alcool de 40 %, ce n’est pas de la vodka et 65 degrés sous zéro, ce n’est pas encore l’hiver ». Ce proverbe est assez révélateur de l’atmosphère dans laquelle se sont déroulés, pendant les 10 années écoulées, les travaux de construction du plus grand projet ferroviaire de ce siècle : la magistrale Baïkal-Amour, en abrégé le « BAM ». Dès le moment où les tronçons est et ouest de ce deuxième chemin de fer transsibérien ont été raccordés sans cérémonie aucune le 1er octobre 1984, il est devenu possible de faire circuler des trains directs sur toute la longueur du BAM, même si l’achèvement complet des travaux - doublement de la voie, construction de dépôts et d’ateliers, électrification partielle - n’est prévu qu’au cours de la période 1986-1990. Il existe à présent une ligne nouvelle de 3 145 km entre Oust-Kout et Komsomolsk-sur-Amour. Cette ligne constitue avec les tronçons existants, Taïchet - Oust-Kout et Komsomolsk - Sovietskaïa Gavane une ligne de 4 333 km de longueur. A cela, il convient d’ajouter les trois lignes de jonction entre le Transsibérien et le BAM, d’une longueur totale de 1 071 km, plus la pose d’une nouvelle ligne d’environ 1 000 km au nord de Tynda, dont 242 km sont déjà en service en vue de permettre l’exploitation des riches gisements de charbon de la Yakoutie méridionale. Une ligne de chemin de fer d’une longueur provisoire de 5 646 km a été construite en Sibérie, en majeure partie dans des conditions très difficiles, dont certaines n’avaient jamais été rencontrées auparavant ailleurs dans le monde lors de la construction de voies ferrées. Jusqu’il y a quelques années, la région traversée par le BAM était pour ainsi dire quasi inhabitée. La zone du BAM s’étend sur près d’un million et demi de km2.

Le sous-sol recèle d’énormes richesses : charbon, cuivre, asbeste, minerai de fer, or, huiles minérales et gaz. Seul un chemin de fer était susceptible de permettre l’exploitation et le désenclavement du territoire. Une première étape fut la construction de centrales hydroélectriques gigantesques le long des rivières, Ienisseï et Angara près de Krasnoïarsk et Bratsk et près de Nérïoungri, Irkoutsk, d’Oust-Ilimsk et de Bogoutchany. Une deuxième étape fut la construction de la magistrale Baïkal-Amour.

 Le permafrost

C’est en 1974 qu’ont débuté les travaux du BAM, c’est-à-dire du tronçon des 3 145 km de ligne qui manquait entre Oust-Kout et Komsomolsk. Début 1980, le « Bamtsjik », le petit BAM, entrait en service entre BAM et Ougolnaïa et un service limité de trains existait déjà entre Oust-Kout et Severobaïkalsk, ainsi qu’entre Ourgal et Komsomolsk. Les travaux réellement difficiles se situaient toutefois à l’est de Severobaïkalsk. Le climat dans la zone du BAM comporte des hivers rigoureux qui durent une dizaine de mois ; ce n’est que lorsque la température descend à moins 45° que les travaux sont suspendus pour cause de gel. Ce qui complique encore les choses, c’est que les étés peuvent être très chauds : on enregistre alors des différences de température allant jusqu’à 90° : de moins 55 à plus 35. Pour donner une idée de ce que les froids rigoureux peuvent entraîner, sachez que la sève des arbres gèle et provoque leur éclatement d’un coup sec. Il arrive fréquemment que la pelle d’un excavateur se brise. Une grande partie du BAM traverse une zone de permafrost, dans laquelle le sous-sol reste gelé en quasi-permanence. En été, la couche supérieure dégèle : il s’agit d’une couche de terrain mou d’une dizaine de centimètres. Si un demi-mètre d’épaisseur de terrain est détruit ou endommagé par un véhicule lourd, il en disparaît encore un plus grand volume par le dégel. Ces phénomènes sont générateurs de glissements de terrain sur de grandes surfaces ; la pose de la voie ferrée déforme le permafrost par la construction de talus et de maisons. Ainsi, il y a quelques années, un effondrement d’une dizaine de mètres s’est produit sur la ligne Tynda - Ouglonaïa ; ailleurs, c’est la voie qui s’enfonce d’un demi-mètre sur plusieurs kilomètres. Un autre problème était posé par le réchauffement des marécages dont les eaux ne pouvaient être évacuées ; il s’ensuivit que de grandes parties du BAM étaient inaccessibles en été. Un autre phénomène naturel consiste en l’apparition d’une calotte de glace à température très basse.

Un puissant jet d’eau glacée jaillit brusquement du sol, l’eau gèle presque instantanément, mais le jet subsiste de telle sorte qu’en peu de temps se forme une calotte de glace d’une dizaine de mètres de hauteur et de plusieurs kilomètres de largeur. Dans la zone du BAM, on a trouvé près de 50 calottes glacières dont certaines atteignaient 150 km2.

 Pourquoi le BAM ?

Devoir surmonter des problèmes gigantesques - ne parlons pas du fait que le BAM se trouve dans une des régions du monde les plus actives du point de vue sismique - et malgré cela, vouloir construire coûte que coûte un chemin de fer : Pourquoi ? Ce furent presqu’exclusivement des considérations économiques qui dictèrent en 1974 la construction du BAM. C’est à cette époque que fut conclu un important contrat avec les Japonais pour la livraison de charbon, de gaz et de bois. En contrepartie des énormes crédits japonais, l’Union soviétique s’engageait à fournir annuellement pendant 20 ans, 5,5 millions de tonnes de charbon en provenance des gisements de Yakoutie méridionale et chaque année jusqu’en 1990, 18,5 millions de m³ de bois. Pour ce transport et celui du charbon, du bois et des minéraux destinés aux besoins intérieurs, seul un chemin de fer était concevable.

Les raisons principales de la construction du BAM peuvent être résumées comme suit.

  1. Le BAM soulage le chemin de fer transsibérien, déjà surchargé : un argument que d’aucuns contestent, car la portion la plus chargée du transsibérien se situe à l’ouest de Taïchet. Néanmoins, le volume des marchandises transportées annuellement sur les voies des SZD s’élève à 4 000 millions de tonnes ; au cours des trois premières années de son exploitation partielle, le BAM a déjà transporté 40 millions de tonnes par an.
  2. La BAM raccourcit de 475 km la distance qui sépare Taïchet de l’océan pacifique. Les SZD envisagent d’acheminer tout le trafic de conteneurs du Japon vers l’Europe occidentale via le BAM et ce, par trains complets hebdomadaires qui circuleront sans transbordement de Port Vostotsnïi (près de Nakodka) à Leningrad ou à un point frontière avec l’ouest. Cette année, 200 000 conteneurs ont été acheminés par le transsibérien et on s’attend à ce que ce nombre triple d’ici l’an 2000. Le BAM devra donc jouer un rôle de régulation, car il arrive encore que les conteneurs mettent 70 jours pour aller du Japon en Europe occidentale.
  3. Le BAM sera utilisé pour transporter en Extrême-Orient les huiles minérales extraites des champs pétrolifères de Sibérie occidentale.
  4. Grâce au BAM, il deviendra possible de mettre en valeur les richesses du sous-sol de la Sibérie orientale. Il s’agit entre autres choses de 40 000 millions de tonnes de charbon à coke de haute qualité, des gisements de 20 milliards de tonnes de minerai de fer d’Aldan, des immenses réserves de cuivre dans les monts Oudokang. On a en outre constaté l’existence d’énormes gisements d’asbeste (versant sud des monts Mouïa) plus du sanfirin, que l’on ne trouve jusqu’à présent qu’en Inde et au Pôle Sud, de la chrysolithe, du plomb, du zinc et un nouveau minerai appelé synnyrite, découvert dans la chaîne des monts Synnir et qui présente un intérêt pour la production de verre, de céramique et d’engrais chimique.
  5. Le BAM est en retrait de plus de 500 km de la frontière chinoise par rapport au Transsibérien ; il s’ensuit qu’en cas de conflit, il reste un moyen de transport disponible et libre de toute entrave. Lors de notre voyage transsibérien, nous avons croisé quasi toutes les dix minutes un train de marchandises lourd sur la section Khabarovsk - Irkoutsk.
  6. Le BAM pourra dans une phase ultérieure être utilisé comme tremplin pour la construction de plusieurs lignes en direction du nord, tel le prolongement de la ligne au nord d’Ougolnaïa qui a déjà été approuvé et également pour une ligne allant d’Aldan à Magadan sur la mer d’Okhotsk via Tommok et Yakoutsk et une ligne de la Sibérie du Nord qui s’amorce à Oust-Kout et rejoint Perm via Bogoutsiany et Abalakovo. Ces projets représentent au total plus de 4 800 km de nouvelles lignes.

Source : Le Rail, décembre 1985