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Les origines des chemins de fer en Lorraine Belge (II)

P. Pastiels.

mercredi 23 juillet 2014, par rixke

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La ligne « Athus - Meuse »

 Le rôle de la sidérurgie

Victor Tesch fut donc l’un des pionniers de l’industrie sidérurgique luxembourgeoise. Associé à la célèbre firme grand-ducale « Metz & Cie », il fut un des promoteurs du déplacement de l’industrie sidérurgique vers les gisements de minette phosphoreuse avec la construction en commun des hauts-fourneaux d’Esch-sur-Alzette en 1870. Cette initiative déclencha une véritable ruée vers le bassin minier et un essor remarquable de la production luxembourgeoise. Pour alimenter en coke les usines qu’il contrôlait et assurer le transport de leur production, Tesch jouissait notamment de tarifs préférentiels sur le réseau belge de la « Grande compagnie du Luxembourg ».

Halanzy

Les barons d’Huart fondèrent à Athus même, en 1871, la « sa des hauts-fourneaux d’Athus ». Du côté français, profitant de nouvelles liaisons ferroviaires, des hauts-fourneaux furent aussi édifiés à Mont-St-Martin (« Société des aciéries de Longwy »), à Longwy (« Société des hauts-fourneaux de Longwy et de La Sauvage »)

Florenville

 L’omniprésence de Simon Philippart

De même, Simon Philippart et des industriels carolorégiens acquirent des concessions minières dans le grand-duché de Luxembourg. Ils désiraient donc acheminer le minerai de fer vers Charleroi à bon marché. Ainsi germa l’idée d’évincer le monopole de la « Grande compagnie du Luxembourg » en Belgique, de créer un réseau distinct au grand-duché (le réseau « Prince-Henri ») : la construction d’une voie ferrée directe, dite « Athus - Meuse », fut envisagée.

Panorama du Bassin Minier et Métallurgique de Longwy

M. Brassine, ingénieur à Ixelles, transmit en 1870 au ministre des Travaux publics une demande tendant à obtenir la concession d’un chemin de fer d’Athus à la frontière dans la direction de Givet. Ce projet était appuyé par 80 communes, par les chambres de commerce de Luxembourg, de Namur et du Hainaut. Il délaissait la plus grande partie des localités des cantons de Florenville et de Virton en passant par Fromelennes, Landrichamps, Vencimont, Gedinne, Bièvre, Carlsbourg, Launoy, Glaumont, Bertrix, Jamoigne, Romponcel, Prouvy, Rawé, Bellefontaine, Ste-Marie, Chantemelle, Udange, Buvange, Differt et Messancy.

Pondrôme

D. Hanus présenta un contre-projet favorisant la vallée de la Vire et ses minières : le tracé initial était modifié à partir de Bertrix par St-Médard, Les Epioux, Florenville, Izel, Berchiwé, Houdrigny, Vieux-Virton, Signeulx, Halanzy, Athus [6].

Paliseul

Le 13 novembre 1872, F. Moncheur, ministre des Travaux publics, présenta à la Chambre des représentants un projet de loi dont l’article 1er était le suivant :

« II sera construit aux frais du Trésor un chemin de fer de la frontière du grand-duché de Luxembourg à la Meuse et vers le bassin de Charleroi. Ce chemin de fer se reliera au chemin de fer de Namur à Givet et pourra se prolonger directement jusqu’au chemin de fer de l’Etat, dans la vallée de la Sambre, ou se raccorder au chemin de fer de Châtelineau à Givet qui en formera, dans ce cas, le prolongement (...). »

 La convention du 31 janvier 1873

Nous savons déjà comment intervint Simon Philippart lors du rachat de la « Grande compagnie du Luxembourg » par l’Etat. Paradoxalement, la construction de la ligne « Athus - Meuse » (initialement dénommée « Athus - Givet ») fut liée à ce rachat : cette ligne ne présentait pourtant pas un intérêt public évident, d’autant plus qu’elle faisait double emploi avec la ligne du Luxembourg !

Athus

L’article second de la loi du 15 mars 1873, sanctionnant la convention de rachat du 31 janvier 1873, stipulait notamment :

  • Le rachat, par l’Etat belge, des droits de la « Grande compagnie du Luxembourg » ;
  • La construction, par la « Société des chemins de fer des bassins houillers », pour compte de l’Etat belge, de diverses lignes de chemin de fer, dont :
    • un chemin de fer partant de la ligne « Tamines - Givet - Jemelle » à construire et se dirigeant vers Athus, en passant près de Beauraing, Paliseul, Florenville et Virton, et par la vallée de la Vire, avec un embranchement vers la frontière française, dans la direction de Gorcy (...).
  • La concession, à la « Société Prince-Henri », de chemins de fer dont :
    • Un chemin de fer formant le prolongement de la ligne de Pétange jusqu’aux gares établies ou à établir à Athus ;
    • Un chemin de fer partant de la station d’Autelbas et aboutissant à la frontière royale grand-ducale, dans la direction de Clemency, à la rencontre de la ligne de l’Attert (...).

Dès le printemps 1873, Simon Philippart entreprit la réorganisation complète de ses sociétés en Belgique. La convention de rachat de la « Grande compagnie du Luxembourg » étant à peine conclue, il fonda la « sa pour la construction des chemins de fer énumérés à l’article VII de la Convention du 31/01/1873, approuvée par la loi du 15 mars suivant » (ouf !), au capital d’un million de francs souscrit principalement par le « Comptoir général Eyckholt et Cie ». Sans bourse délier, Simon Philippart se trouvait d’emblée débarrassé de la construction de quelque 225 km de voies ferrées, pour lesquelles il ne disposait pas du premier franc, et laissait au comptoir général le soin d’avancer les fonds nécessaires au démarrage de l’entreprise... ! [7].

 La construction de la ligne perdure

Les lignes « Clemency - Autelbas » (4,10 km - simple voie), « Pétange - Athus » (4,03 km - double voie) du réseau « Prince-Henri » furent respectivement ouvertes au trafic les 03 janvier et 1er décembre 1874. Par contre, les travaux de construction de la ligne « Athus - Meuse » au départ d’Athus furent entamés avec lenteur. L’Etat dut rapidement se substituer à l’adjudicataire défaillant et poursuivre lui-même les travaux, à l’aide notamment du crédit octroyé par la loi du 04 août 1879. En 1885, le Gouvernement modifia la convention de 1873 : il voulait substituer alors les lignes de la Molignée, de la Lesse, de Rochefort vers la frontière française à celles de Mettet à Hastière, d’Hastière à Gedinne et de Baronville à Eprave (sections restant encore à construire).

Le tracé de la ligne « Athus - Meuse », au-delà de Gedinne, resta donc longuement en suspens... De plus, le profil accidenté de la ligne et la réalisation de nombreux ouvrages d’art retardèrent considérablement la mise en exploitation complète de la ligne.

Le tableau suivant illustre bien les différentes étapes de la construction de cette ligne : il nous livre les dates d’ouverture au trafic « voyageurs » des différents tronçons des lignes « Athus - Meuse » ( 137,2 km) et « Tamines - Meuse » (47,4 km), exploitées initialement à simple voie.

Tronçons Km Date d’ouverture trafic « voyageurs »
Athus - Signeulx 14,4 20/01/1877
Signeulx - Florenville (provisoire) 33,9 26/03/1879
Florenville (provisoire) - Florenville 0,5 17/07/1880
Florenville - Gedinne 47,6 20/12/1880
Gedinne - Vonêche 8,3 20/12/1899
Vonêche - Pondrôme 7,2 01/10/1899
Pondrôme - Beauraing 5,8 01/08/1898
Beauraing - Houyet 9,6 22/10/1895
Houyet - Gendron-Celles 4,9 01/04/1896
Gendron-Celles - Anseremme 7 27/07/1896
Anseremme - Dinant (Bif.-Neffe) 2 01/06/1898
Bif. Neffe - Bif. Bouvignes [8] 6 11/11/1862
Bif. Bouvignes - Anhée 2 01/05/1892
Année - Ermeton-s/Biert 14,1 15/10/1890
Ermeton-s/Biert - Mettet 4,6 03/01/1889
Mettet - Tamines 20,7 03/09/1879
L’exploitation par les chemins de fer de l’Etat Belge

 La ligne du Luxembourg

Dès 1873, l’administration des chemins de fer de l’Etat belge reprit l’exploitation du réseau de la « Grande compagnie du Luxembourg ». Elle s’empressa d’effectuer les travaux de mise à double voie des sections « Namur - Arlon » et « Autelbas - Athus », de remplacer progressivement les anciens rails en fer par des rails en acier, de moderniser la signalisation existante, d’adapter les stations afin de faire face à toutes les nécessités du trafic. Un important trafic international de et vers le grand-duché, la France, l’Allemagne, la Suisse transitait par ces lignes. Néanmoins, le relief accidenté de la ligne du Luxembourg limitait fortement la charge des trains. De nombreux trains de marchandises, composés de wagons de faible tonnage, sillonnaient la ligne. De longs garages dans les gares intermédiaires étaient alors fréquents...

L’établissement du service de nuit, la construction d’engins moteurs de plus en plus puissants s’avéraient nécessaires. Les locomotives à vapeur Type 25F, 32N, 32S, 36S apparurent respectivement dès 1884, 1901, 1905 et 1910 sur la ligne du Luxembourg. Un réaménagement des gares (augmentation des voies de garage, de leur longueur) s’imposa encore à partir de 1900 pour absorber le trafic sans cesse croissant.

 Les lignes « Athus - Meuse » et « Marbehan - Virton - Montmedy »

D’emblée, la ligne « Athus - Meuse » ne connut pas un trafic comparable. Construite à simple voie, elle ne fut exploitée sur toute sa longueur qu’à partir de 1900. L’antenne « Bertrix - Libramont » fut exploitée à partir du 21 août 1882.

Par contre, un important trafic « marchandises » transita via Lamorteau, Virton-St-Mard et Marbehan vers Liège (via Marloie) ou Ronet. La gare frontière de Lamorteau, les gares de Virton-St-Mard et de Marbehan subirent un remaniement complet de leurs installations au début de ce siècle.

Les travaux de mise à double voie, de renforcement des ouvrages d’art, de modernisation de la signalisation débutèrent peu avant la première guerre mondiale sur les lignes « Athus - Meuse » et « Marbehan - Virton ». Ils furent poursuivis par l’occupant durant le conflit, ces lignes étant stratégiques. Après la première guerre mondiale, les installations ferroviaires ne parvenaient plus à absorber le trafic « marchandises » sans cesse croissant. On décida de créer deux grandes gares de formation, l’une à Stockem, l’autre à Latour, afin de soulager les gares d’Arlon, de Sterpenich, de Marbehan, d’Athus, de Virton-St-Mard et de Lamorteau. De même, de nouvelles remises à locomotives furent aussi établies à Stockem, à Latour et à Bertrix. La ligne « Athus - Meuse » fut exploitée progressivement à double voie entre 1922 et 1927. A cette époque, les bifurcations de Recogne et de Serpont devinrent opérationnelles, permettant d’éviter le passage obligé à Libramont des trains de marchandises circulant entre Bertrix et Jemelle.

Dès lors, à l’aube de la création de la SNCB (en septembre 1926), les courants de trafic s’inversèrent. La ligne « Marbehan - Virton » perdit à tout jamais son trafic de transit au profit de la ligne « Athus - Meuse ». Les travaux de mise à double voie du tronçon « Marbehan - Virton » furent dès lors abandonnés...


Source : Le Rail, août 1987


[1F. Martha et Cie - « Projet de chemin de fer... », (Fleurus 1857)

[2P. Pastiels - « En Gaume ferroviaire », Le Rail (n° 169 - 09/1970)

[3Voix du Luxembourg, (n° 11/12-11/1872)

[4Voix du Luxembourg, (n° 14/15 -10/1872)

[5M. Hennequin - « Le premier chemin de fer en Gaume », Annales de l’Institut archéologique du Luxembourg (Arlon, T CIII et CIV - 1972/1973)

[6« L’Athus - Charleroi et la reprise du Grand-Luxembourg » - Lettres à M. Malou (Arlon, 1872)

[7E. Tandel - « Les Communes luxembourgeoises » (Arlon, T I p 480 et s./p 669 et s. - 1889)

[8Tronçon appartenant à la ligne « Namur-Dinant »