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Matadi - Léopoldville

K. Destoop.

mercredi 28 mai 2014, par rixke

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 L’étude sur le terrain

Le premier objectif de la CCCI était l’étude, la construction et l’exploitation d’une ligne de chemin de fer qui devait relier le Bas-Congo au Stanley-Pool. Dans une phase ultérieure, on passerait à la commercialisation des richesses naturelles de l’intérieur du pays. Deux expéditions furent mises sur pied dans ce but :

  • une sous la direction du capitaine Cambier, composée d’ingénieurs et de spécialistes en topographie qui procéderaient à la reconnaissance du terrain et aux relevés.
  • une autre sous la direction de Delcommune qui se chargerait de l’aspect commercial.

La direction de l’ensemble de l’opération était aux mains d’Albert Thys.

Au total, trois équipes furent chargées de reconnaître le terrain entre Matadi et Léopoldville. Des renforts en ingénieurs et en main-d’œuvre furent régulièrement envoyés via Matadi.

Le dernier boulon de la voie Matadi-Léopoldville, solennellement vissé le 16 mars 1898 en présence des autorités.

Le docteur Amerlinck de Gand fit œuvre éminemment utile en raison de l’état d’affaiblissement général et les poussées de fièvre qui décimèrent rapidement l’expédition. La reconnaissance du terrain n’était pas chose aisée puisque les pistes de caravanes déjà existantes étaient situées généralement au nord des rapides, et qu’on voulait construire le chemin de fer au sud de celles-ci.

On était en terrain totalement inconnu : absence de cartes, d’indications sur le cours des rivières, sur l’existence des vallées, des chaînes de montagnes, marais etc.

En outre, on était tenu par le temps, car l’expédition coûtait une fortune à la CCCI.

Les plus grands obstacles physiques étaient indubitablement constitués par la rivière Mpozo et le mont Palabala, une falaise étrange avec des vallées profondes et des ravins de 400 m.

Un autre problème était de trouver de la main-d’œuvre indigène, surtout des porteurs, les soi-disant coolies. Pour pouvoir acheminer tout le matériel et les provisions de bouche nécessaires, on avait besoin d’un grand nombre de coolies. La mobilisation de ceux-ci s’effectua surtout par Francqui. Un grand nombre d’entre eux perdirent la vie, devinrent malades ou désertèrent, épuisés par les efforts physiques à fournir.

L’étude sur le terrain prit 17 mois, mais après cela Albert Thys put annoncer avec une légitime fierté au souverain que la construction du chemin de fer était possible.

Après que la CCCI eut donné son approbation, l’ensemble du projet dut encore recevoir un caractère officiel. Ce qui eut lieu le 23 juin 1889 lorsque les chambres législatives donnèrent leur accord sur la fondation de la Compagnie du chemin de fer du Congo au capital de 10 millions.

 La construction du chemin de fer

Le 11 octobre 1889, la première équipe d’ingénieurs s’embarqua à Anvers à destination de Matadi. Arrivés sur place, on dut pourvoir en tout premier lieu à la construction de débarcadères appropriés, d’une gare, de bureaux, d’habitations...

C’est en 1897 que la voie franchit le pont sur l’inkisi.

Ce n’est que le 15 mars 1890 que la première équipe de travail put s’atteler à la tâche.

La région de Matadi est très rocailleuse et présente des variations de relief abruptes qui ne faisaient qu’accroître les difficultés.

Au cours de cette première phase de travaux, il régnait une grande pénurie de main-d’œuvre. Thys dut aller mendier de par le monde pour en trouver : jusqu’au Mozambique, aux Indes, à Sumatra, en Chine, au Japon et... même au Zoulouland !

On augmenta également le nombre de conseillers et d’ingénieurs blancs : des Flamands, des Wallons, des Italiens, des Danois, des Français, des Allemands, des Suisses et des Suédois... c’était un vrai kaléidoscope de nationalités. Le travail avança très lentement les premières années, tant le combat contre les éléments naturels était fastidieux. Les nombreux déboires coûtèrent des sommes folles, il en résultait que les bailleurs de fonds suivaient l’aventure avec méfiance.

Les problèmes auxquels on se trouvait confronté étaient de nature très diverse : le pays était très peu peuplé, le stock de vivres était largement entamé, les engins étaient primitifs (haches et explosifs) et les travailleurs inexpérimentés. En outre, les effectifs de l’expédition furent fortement décimés par diverses maladies tropicales ; ils furent nombreux à être renvoyés au pays pour ne pas trop gonfler les chiffres de mortalité.

Dès que quelques kilomètres furent construits, les premières locomotives furent mises en service sur ce tronçon pour acheminer le matériel sur place et économiser ainsi des coolies.

En juillet 1892, le pont sur le Mpozo fut enfin prêt... 2 ans de labeur harassant pour 9 km de voies ! Le 4 décembre de cette même année fut inauguré le tronçon Matadi - Kenge. Au fil du temps, le terrain devint moins accidenté, le climat plus salubre et l’approvisionnement plus régulier.

Il fallut en outre tenir de moins en moins compte de l’hostilité des indigènes ; de temps à autre, il y avait même des chefs de tribu qui offraient de la main-d’œuvre et vendaient des poulets et des chèvres. Cette viande constituait une variation appréciable au regard des conserves que l’on avait mangé à longueur d’année.

Tout au long de la ligne, on construisit des postes fixes où demeuraient un ou plusieurs Européens et où pouvaient faire halte les caravanes en route vers le chantier.

Au fur et à mesure de la progression de la construction du chemin de fer, la compagnie racheta de plus en plus de terrains aux chefs indigènes. Thys leur donnait ce qu’ils demandaient, du moins dans la mesure où son budget « cadeaux » le lui permettait.

En 1894, après quatre ans de travaux, seuls 82 km avaient été construits jusqu’à hauteur de la rivière Lufuri.

Des récompenses spéciales furent octroyées à ceux qui travaillaient le plus rapidement afin d’accélérer la cadence des travaux : à la suite de quoi le rythme de construction s’accrut sensiblement.

Un train en cuivre vient d’arriver dans le faisceau du complexe de Matadi.

Une année plus tard, on était déjà arrivé à hauteur de la rivière Kwilu et on atteignit Thysville au début de 1897. De là, on franchit la dangereuse vallée de l’Inkisi : la construction du pont sur cette rivière coûta de nombreuses vies humaines. Le sommet du Tampa constitua le dernier grand obstacle. Après 8 années de travaux pénibles, la première locomotive atteignit le Stanley Pool le 16 mars 1898 sous les acclamations enthousiastes et les salves de canon.

La ligne Matadi - Léopoldville fut solennellement ouverte au trafic le 6 juillet 1898 ; bien que la construction du chemin de fer eût coûté de nombreuses vies humaines, l’Homme parvint finalement à vaincre la nature.


Source : Le Rail, avril 1986